Déclaration du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, à l’occasion du dîner du 45ᵉ anniversaire du Service Jésuite des Réfugiés
13 novembre 2025 New York, États-Unis
Source : site internet des Nations Unies.
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Je suis heureux de me joindre à vous ce soir et de contribuer à commémorer cette étape importante.
Depuis 45 ans, le Service jésuite des réfugiés vient en aide aux personnes déracinées par les conflits et les persécutions.
En les accompagnant dans leurs souffrances.
En leur fournissant des services essentiels.
En plaidant pour leur dignité et leurs droits.
Ce travail est bien plus qu’un acte de charité.
C’est une expression d’humanité.
Le JRS a été créé en réponse à la crise des boat people en Asie du Sud-Est, offrant l’espoir à des personnes fuyant la persécution et une pauvreté écrasante.
Et depuis quatre décennies et demie, vous êtes au rendez-vous.
Dans le monde entier, vous avez aidé des centaines de milliers de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays à avoir accès à l’éducation, aux soins de santé mentale et à d’autres services essentiels.
Et ici, aux États-Unis, vous avez été un ardent défenseur des questions frontalières et des droits des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants, y compris celles et ceux placés en détention.
Vos principes inspirants ont des racines profondes.
La compassion pour les opprimés et les marginalisés est un précepte jésuite depuis près de 500 ans, remontant aux saints Ignace de Loyola et François Xavier.
L’un de mes moments les plus chers comme Haut-Commissaire pour les réfugiés fut ma rencontre avec le pape François, premier Souverain pontife jésuite, qui s’est dévoué au service des réfugiés et a attiré l’attention du public sur les voyages périlleux entrepris par tant de personnes en quête de sécurité.
Mais notre monde continue de tourner le dos à ceux qui sont en détresse.
Permettez-moi donc d’évoquer trois préoccupations urgentes.
Premièrement – l’augmentation des besoins humanitaires.
Il y a neuf ans, lorsque j’ai achevé mon mandat de Haut-Commissaire, 65 millions de femmes, d’enfants et d’hommes fuyaient les conflits ou les persécutions.
Ce chiffre paraissait stupéfiant à l’époque, mais les crises se sont multipliées – au Myanmar, en Ukraine, à Gaza, au Soudan, en RDC et ailleurs.
Aujourd’hui, ce chiffre atteint environ 117 millions – soit une personne sur 70 sur la planète.
La somme de leurs épreuves et de leurs souffrances dépasse l’entendement.
Au Soudan, près de 12 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays et au-delà de ses frontières, notamment d’innombrables femmes et filles violées alors qu’elles fuyaient les conflits.
Les informations faisant état de récentes atrocités à El Fasher choquent la conscience – non seulement par leur ampleur et leur gravité, mais aussi parce que le monde les voyait venir et a fait si peu pour les empêcher.
À Gaza, la majorité de la population a été déplacée à plusieurs reprises, l’accès humanitaire a souvent été entravé et les infrastructures sanitaires ont été décimées.
Au Myanmar, la discrimination et l’instabilité continuent d’empêcher la possibilité d’un retour sûr, volontaire, digne et durable pour les 1,2 million de réfugiés rohingyas apatrides accueillis au Bangladesh.
En Ukraine, la guerre à grande échelle a causé des destructions terribles et déplacé plus de 9,5 millions de personnes à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Et dans l’est du Congo et en Haïti, les conflits et la violence continuent de pousser les populations à fuir leurs foyers.
Dans trop d’endroits, les droits humains sont bafoués, l’aide humanitaire est refusée et des vies humaines sont perdues.
Inverser ces tendances exige le respect de la Charte des Nations Unies, une coopération multilatérale renforcée et des négociations plus constructives.
Deuxièmement – le respect du droit international des réfugiés.
Le droit de demander l’asile et l’obligation morale de protéger les personnes qui fuient le danger sont consacrés dans des textes sacrés et des traditions religieuses du monde entier.
Après la Seconde Guerre mondiale, la communauté internationale a affirmé ces principes dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967.
Ces traités ont fait la différence entre la vie et la mort pour des millions de personnes.
Mais ces instruments et leurs principes sont de plus en plus contestés.
La vérité est que la plupart des réfugiés restent dans les pays voisins, espérant rentrer chez eux dès que les conditions le permettent.
Mais lorsque le soutien international s’affaiblit et que les solutions locales s’effritent, les plus désespérés sont forcés de partir – confiant souvent leur vie à des passeurs et trafiquants pour traverser déserts, jungles et mers.
L’ampleur, la portée et la complexité croissantes de ces mouvements – avec des réfugiés et des migrants empruntant les mêmes routes et affrontant les mêmes dangers – mettent à rude épreuve la gestion des frontières et les systèmes d’asile.
Mais la solution n’est pas de reléguer la Convention relative au statut des réfugiés.
Les États ont le droit de contrôler leurs frontières.
Mais ils ont aussi le devoir de protéger celles et ceux qui fuient pour sauver leur vie – et de ne jamais renvoyer des personnes vers un danger.
Ces principes sont pleinement compatibles – pour autant qu’ils soient appliqués de bonne foi.
Nous devons préserver l’intégrité du régime de protection des réfugiés, en collaborant avec les États et d’autres acteurs pour garantir son application face aux défis actuels.
Nous devons réaffirmer que la Convention de Genève et son Protocole constituent la pierre angulaire du droit international des réfugiés – et qu’ils sont aussi nécessaires aujourd’hui qu’il y a plusieurs décennies.
Et nous devons faire en sorte que l’asile continue de sauver des vies – comme c’est le cas actuellement en Ouganda, au Tchad, en Moldavie et au Bangladesh.
Troisièmement – rétablir le soutien humanitaire.
Le système humanitaire est débordé, sous-financé et attaqué.
Malgré l’augmentation des besoins, le financement s’effondre – chutant d’environ 50 % par rapport à son pic d’il y a trois ans.
Cette baisse sans précédent compromet notre capacité à protéger les réfugiés et à fournir une aide vitale.
Elle a contraint le HCR à fermer des bureaux, réduire plus d’un quart de son personnel et annuler des programmes essentiels.
Un effet domino frappe nos partenaires humanitaires – y compris les organisations locales, dirigées par des réfugiés et confessionnelles, souvent les premières à intervenir et parmi les plus dignes de confiance.
Et cela pèse lourdement sur les réfugiés et les communautés d’accueil.
Les familles qui ont tout perdu en fuyant leur foyer affrontent désormais une seconde crise : la perte du soutien dont elles dépendent pour survivre.
Les équipes humanitaires doivent hyper-hiérarchiser les urgences, en se concentrant sur les personnes les plus à risque, en espérant que d’autres ayant des besoins légèrement moins urgents puissent se débrouiller tant bien que mal.
Cette opération de tri brutale mais nécessaire signifie que jusqu’à 11,6 millions de personnes risquent de perdre l’accès à l’aide directe du HCR.
Dans un monde qui dépense si librement pour la guerre, elles méritent bien mieux.
Des investissements stratégiques et durables pour les réfugiés et les communautés d’accueil, y compris l’aide au développement, rapportent des dividendes réels et précieux.
Ils favorisent la stabilité en permettant aux gens de s’épanouir là où ils se trouvent.
Ils renforcent la sécurité régionale en empêchant les conflits de se propager.
Ils soutiennent les communautés d’accueil.
Et ils préparent les réfugiés à rentrer et reconstruire leur pays lorsque le moment est venu – comme le million de réfugiés syriens qui sont rentrés chez eux au cours de l’année écoulée.
Avec davantage de solidarité internationale, nous pouvons contribuer à rendre ces retours durables.
Alors que le secteur humanitaire fait face à des pénuries de financement, il est également attaqué sur de multiples autres fronts.
Nous observons des campagnes visant à discréditer, perturber et paralyser ses opérations.
Des tentatives de fournir une aide en dehors du système humanitaire, au mépris de ses principes fondamentaux.
Et le ciblage, l’enlèvement et le meurtre de travailleurs et travailleuses humanitaires.
Cela doit cesser.
L’aide ne doit jamais être utilisée comme une arme, et celles et ceux qui la fournissent ne doivent jamais être diabolisés.
Mesdames et Messieurs,
Accorder refuge aux personnes en danger est plus qu’une tradition.
C’est une nécessité morale et pratique.
Travaillons ensemble pour défendre le droit de demander l’asile, pilier du droit international.
Insistons sur la responsabilité partagée d’assurer la protection internationale.
Renforçons l’inclusion des réfugiés, grâce à un financement accru pour les communautés d’accueil.
Développons les solutions durables, y compris la réinstallation des réfugiés.
Et mobilisons la volonté politique nécessaire pour résoudre les conflits.
Une fois encore, je félicite le Service jésuite des réfugiés pour avoir accompagné les personnes dans le besoin depuis 45 ans.
Et je salue l’exemple que vous donnez en accueillant l’étranger avec compassion et humanité.
Je vous remercie.