Rapport : les conditions d’accueil des demandeurs d’asile

Trois ministres (Intérieur, Affaires sociales et Finances) ont commandé conjointement, fin 2012, à leur inspection générale respective un rapport sur l’hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d’asile. Sept inspecteurs (!) se sont attelés à un tel audit dans la perspective d’économies budgétaires et ont élargi l’objet de leur mission à l’ensemble de la procédure d’asile. Leur rapport, daté d’avril 2013, est publié mi-septembre, à la veille de la « concertation » avec divers acteurs en vue du projet 

de loi (renvoyé fin 2013, pour un débat après les municipales). Le document public (230 p.) débute par une synthèse (4 p.) et ses 53 propositions ; le rapport lui- même (34 p.) repose sur les 4 thématiques développées en annexes :

Allocation temporaire d’attente (ATA)

L’hébergement des demandeurs d’asile

Le parcours (administratif en France) des demandeurs d’asile

Le traitement des demandes et son impact sur les dépenses de prise en charge.

Le rapport décrit un système  » à bout de souffle « , malgré l’explosion des budgets, avec une hausse continue de la demande d’asile (?), l’embolie des structures concernées, l’échec de la  » régio- nalisation  » (souci de ne pas être trop attractif et inefficacité des outils de pilotage), les délais prohibitifs d’attente aux passages obligés (Préfectures-Ofpra-Cnda) en plus des délais  » cachés  » (entre les prises en compte réelles par ceux-ci) qui engendrent autant de frais pour l’État (ATA, hébergement).   Avec 2 conséquences majeures : la faible qualité de la prise en charge des demandeurs  » ayant vocation à accéder au statut  » et la voie détournée pour l’immigration économique que devient l’asile.

 Face à ses constats, le rapport propose des pistes d’améliorations :

 Rationaliser le système : simplifier les conditions de séjour (remise sous 15 jours d’une autorisation de séjour pour la demande à l’Ofpra ou d’un document pour les demandeurs en situation particulière ; orientation des demandeurs par un dispositif national vers une région déterminée sous peine d’absence de prise en charge, voire d’une procédure accélérée) et rendre effectif l’éloignement des « déboutés » (plus les délais d’attente s’allongent, moins les expulsions sont réalisables) ð l’asile devient une voie détournée d’immigration économique (pourquoi conserver des demandes de séjour en parallèle sur un autre motif – santé -?). Le directeur de l’Ofpra – supposé pouvoir prévoir les flux – déciderait de lui-même d’ajouter ou retirer la qualité de « pays d’origine sûr » quitte à obtenir l’aval de son conseil sous 3 mois : l’étude juge l’instruction accélérée aussi protectrice que la procédure normale (avec recours jugé plus vite).

 Augmenter l’hébergement en centres dédiés (CADA) jusqu’à 35 000 places à l’horizon 2018 pour les demandeurs en situation « normale ». Ce qui suppose d’y intégrer les places parallèles (accueil temporaire en ATSA) et de créer 2000 autres places/an en plus de celles déjà prévues. Les CADA pourraient sortir du régime du code de l’action sociale pour intégrer celui  des étrangers et du droit d’asile (Ceséda) avec des normes spécifiques. D’ici à 2018, l’hébergement d’urgence resterait complémentaire et accessible aux demandeurs sous procédure « Dublin » ou prioritaire avec mise en place d’un référentiel ; l’ATA que certains perçoivent pourrait être versée par le centre d’hébergement et unifiée avec le pécule versé en CADA. Les demandeurs étant hébergés, le recours à la domiciliation postale (associative) ne serait plus qu’exceptionnel.

 Réduire durablement les délais d’instruction des demandes pour 2015 (Ofpra sous 3 mois, Cnda sous 6 mois, notamment avec des audiences par vidéo, voire 4 mois pour les procédures accélérées mais dont le recours deviendrait suspensif d’éloignement) en augmentant les effectifs permanents (+ 7 %) et la productivité (+ 10 %). L’objectif est de résorber les stocks de demandes pour 2015, avant la mise en place des mesures européennes qui seront plus chronophages. La pratique de l’Ofpra devrait se rapprocher de la jurisprudence de la Cnda : éviter de rejeter des demandes qui seront acceptées en recours mais intervenir aussi plus souvent aux audiences Cnda. Si risque de délais, l’aide juridictionnelle pourrait être accordée à tous ceux qui la demanderaient.

 Utiliser les aides de survie (ATA) pour « prévenir les abus » ð restreindre les bénéficiaires (exiger le dépôt de la demande d’asile dans les 3 mois de l’entrée en France, sauf exception, et supprimer l’ATA en cas de refus de l’orientation proposée ou après 2 ré-examens) et pour « une plus grande justice »: l’ATA serait élargie aux enfants à enveloppe budgétaire inchangée.

 Un fichier informatique pour l’ATA augmenterait encore les contrôles bloquants.

Un guichet unique (Agence de l’asile?) pourrait réunir les attributions pour l’asile de l’Ofpra, de l’Ofii et de Pôle-Emploi. Deux scenarii sont proposés sur la place des préfectures : soit un rôle réduit (l’autorisation provisoire de séjour n’exigerait plus d’adresse, serait délivrée sous 15 jours et pourrait être valable pendant toute la procédure ou à défaut pour six mois pour les situations normales ; les rejets définitifs d’asile par l’Ofpra ou la Cnda pourraient valoir OQTF – obligation de quitter la France -), soit attribuer l’ensemble de leurs compétences à un Ofpra déconcentré en 10 pôles interrégionaux, chargés de toute la procédure (l’orientation, l’admission au séjour ou non, l’hébergement et les aides, le traitement des demandes, etc.).

 Une étude partiale ? Les choix opérés (et ses sources) engendrent leurs conclusions :

–   La période de référence débute en 2007 (année d’une demande d’asile à l’étiage en France) : ceci fait conclure à une hausse continue, alors qu’un recul sur 10 ans est en général requis pour une étude, mais inclure l’année 2003 (pic de demandes non atteint en 2013) aurait annihilé ce présupposé. L’étude prend pourtant le recul qui l’arrange par ailleurs (évolution des places de CADA depuis 2000, des délais d’attente Ofpra-Cnda depuis 2006, voire du flux depuis 1981 pour calculer un rythme annuel, etc.).

–   Le choix des « sources » : la mission n’a pas lésiné sur les entretiens : pas moins de 180 personnes … fonctionnaires ou « opérateurs » ! aucun acteur indépendant 1 : représentant du HCR (gardien de la convention de Genève), « vrai » associatif ou demandeur d’asile). Ce rapport raisonne en vase clos !

–   Scoop d’entrée : 18 % des allocations de survie (ATA) sont indûment versées ! Mais mutisme sur le montant des allocations dues mais non servies : personne n’aurait-il soulevé ce lièvre ?

Pas un mot pour savoir si 11 €/jour permettent une vie digne : l’étude présuppose à tort que chacun est hébergé (et gratis !) et une note glisse innocemment (?) que ce montant est supérieur au salaire moyen dans divers pays d’origine. Le rapport propose, par souci de justice (sic), de l’unifier à terme avec le pécule Cada et de baisser le montant de l’allocation des adultes à 9 €/jour pour la « familiariser » (les enfants auraient 1/2 ATA), mais l’argument réel est d’éviter une condamnation prévisible.

–   Les références (garde-fous) de l’étude sont les jurisprudences et les risques de condamnation de l’État en fonction des directives européennes ou du corpus législatif. Faut-il voir un lapsus (p.23 de l’annexe 4) : les demandeurs d’asile sont des personnes « quittant » les persécutions (au lieu de « fuyant » celles-ci). L’accueil des demandeurs d’asile peut-il être étudié au seul prisme des risques de condamnation de l’État ou des perspectives de moindres dépenses, comme la culture des choux ou des carottes ?

–   L’étude publiée est manifestement amputée : certains thèmes sont évoqués mais semblent tronqués soit de leur analyse soit d’une part de leurs conclusions (l’accueil des mineurs isolés, l’avenir et l’implantation des plates-formes d’accueil, l’insertion des réfugiés, etc.) ; d’autres semblent tout bonnement censurés : une telle étude peut-elle faire l’impasse d’une réflexion sur l’accès au travail des demandeurs en attente ou sur la dignité qu’il représente pour eux, ne serait-ce d’ailleurs qu’au regard des économies pour l’ATA et l’hébergement, objets du rapport. Une question jugée taboue?

Hormis des propositions hardies qui seront vite balayées (écarter peu ou prou les préfectures, par exemple), d’autres seront soumises aux élus comme venant d’experts indépendants (!) et autorisées par la jurisprudence et les directives européennes (donc déjà avalisées par les ministères). Comme ce rapport va servir de base aux concertations, il importe de connaître ses préconisations et raisonnements.

La mission a identifié des points de blocage sur lesquels elle met la pression par des menaces à peine voilées voire des pistes iconoclastes. Citons pêle-mêle : le rôle et les délais des préfectures, de la domiciliation, des recours en Cnda (multiplier les audits avant d’accorder un poste ? faut-il une juridiction particulière ?), les velléités d’autonomie des collectivités locales pour l’hébergement ou de déontologie des organismes financés (qui paye commande !). L’ATA doit sortir de pôle-Emploi, source de dépenses indues… Tactiques ? Début de grandes manœuvres ?

Les effets de ces pistes sont sensées engendrer des économies conséquentes : l’attente inutile coûte 10 à 15 millions d’euros/mois à l’État. Aux ministres de conclure et aux élus de décider.

Quant aux « valeurs » de la France pour l’asile, inutile de chercher ce terme au fil des 230 pages : il est absent, comme le mot « digni« .

 

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