Des participants JRS Jeunes font un film

Abdallaye, Alpha, Bilal, Ferdous, Hani, Ibrahima, Margaret et Zenobita se sont engagés pendant deux mois, entre septembre et novembre 2021 dans un stage de cinéma avec l’association Les Yeux de l’Ouïe. Avec Anne, réalisatrice-monteuse, et Nicolas, chef opérateur, ces huit membres du programme JRS Jeunes se sont retrouvés quotidiennement via le projet « Aller vers… L’adresse à la cité ». Il s’agissait pour chacun de “trouver la manière d’ouvrir des voies et de faire entendre sa voix”.

Selon la démarche développée par Les Yeux de l’Ouïe, les stagiaires ont fait connaissance lors de la projection d’un court métrage. L’occasion pour certains de découvrir le film documentaire : “ça touche directement, c’est pas comme un film de fiction. Quand c’est joué par des comédiens, on sait qu’on regarde une histoire, on ne sera pas touché de la même manière. Ici, il n’y a pas de mise en scène. Elle dit ‘tu’ quand elle parle, on est dans le film avec elle”. Cette question du documentaire et de la fiction restera un fil rouge de tout le stage avec des échanges enflammés pour qualifier, discuter et dépasser les genres. Dans un second temps, à partir d’échanges sur le texte Espèces d’espaces de Georges Perec, les thèmes principaux du film à venir ont émergé : la ville, le mouvement, la circulation et l’indifférence.  Très vite, l’équipe a plongé dans le concret, d’abord en mettant des mots sur ces thématiques, en enregistrant les voix puis en apportant des nouvelles idées, des images et des séquences.

 Chacun a pu s’initier à la prise de vue et de son : utiliser des caméras, son portable, les micros, faire attention à la lumière, choisir les séquences, etc. “Un apprentissage très stimulant !” confirme Ferdous. Le film, 1, personne, 100 000, s’est construit avec ce que chacun a apporté pour proposer une adresse collective à la société.

La projection de 1, personne, 100 000 en présence des réalisateurs s’est poursuivie par un échange avec le public. Interpellés par les scènes du métro, où se joue une véritable performance, les spectateurs s’interrogent sur cet espace : “Dans un autre pays, tout le monde va regarder Margaret, qui tombe, qui s’envole, les gens vont s’arrêter pour la regarder. Ici tout le monde continue à marcher, même quand il y a des choses bizarres. Pour moi, l’indifférence et la solitude du métro contraste avec la cohérence du groupe : vous êtes ensemble dans ce film et en lien avec les spectateurs par les textes et les paroles”. 
Alpha et Zenobita ajoutent : “Le métro, c’est un endroit du quotidien, où l’on me voit mais où personne ne me regarde. Tout le monde est rapide, occupé, va faire son travail, personne ne fait attention quand on tombe. Personne ne pense à ce que les autres traversent. Le métro c’est un endroit où chercher son chemin, où j’ai besoin des autres pour retrouver mon chemin. Le monde d’aujourd’hui a besoin des autres, besoin d’attention, qu’on nous regarde, qu’on nous touche. On doit être là pour les autres et dire « ça va aller, relève toi, même si c’est difficile”. Ici, il y a quelqu’un qui tombe, des milliers de personnes passent et personne ne demande si ça va : c’est pas possible !”. Anne conclut : “Quand je prends ce long tunnel maintenant, j’ai l’impression d’être dans un scanner, comme si on y scannait le monde dans lequel on vit”.
Ce monde, il est perceptible à travers ce que chaque réalisateur a souhaité partager : foule du métro, de la rue, parc, boite de nuit, chambre, photos… Chacun y a pioché dans son univers personnel, différent des autres.  Des spectateurs témoignent : “Je ne connaissais personne et je suis rentrée dans l’intimité de chacun. J’ai aimé les moments où on vous voit au micro, en train de faire le film. Il y a une connexion généreuse entre vous qui aide à faire preuve d’empathie. Un film comme ça éduque. On est plus généreux après avoir vu ça !” et “On ne sait rien sur les pays ni les histoires. On a des indices à travers des photos, des sons, on a l’intimité d’une personne singulière, une personnalité. On a aussi l’impression que chacun est filmé et enregistré par les autres : ça circule entre vous. Cela crée un dialogue avec celui qui regarde, le spectateur fait partie de l’histoire, ça circule dans le même mouvement”. Nicolas confirme : “Le collectif se construit à partir du moment où chacun trouve une place à l’intérieur du film”. Il se construit aussi grâce aux paroles qui scandent le film, notamment le texte écrit par Alpha. Il est murmuré, dit, enregistré par chacun des réalisateurs. A travers lui, un “nous” est possible entre toutes les personnalités du film. 

A la suite de la projection, quelques spectateurs s’expriment :

“Une scène marquante pour moi, ça a été la traversée d’une frontière, la nuit, en forêt. C’est comme si on participait, vue la façon dont c’est filmé. J’ai aussi aimé les gros plans sur les visages, sans être face caméra : c’était de belles images, qui donnent une impression d’intimité, comme si on entendait la petite voix que chacun a dans la tête. Quand Bilal raconte son exil, j’avais envie de pleurer. C’était simple mais profond, sincère dans la parole, sans colère ni apitoiement, sans voyeurisme. ça m’a permis de me mettre à sa place” Marion

“Je retiens beaucoup de scènes de métro ou de voyage. Il y avait des monologues très touchants qui donnaient vraiment de la perspective sur leur situation. Ils ont réussi à montrer leurs galères sans créer un film complètement négatif. J’étais surprise pendant la scène dans l’appartement de Ferdous. J’ai trouvé la scène très intime – de voir où il habite et interagir avec sa famille, j’avais presque l’impression d’espionner. J’étais aussi surprise par la qualité et la fluidité du film, je trouve qu’on sent à quelle point l’équipe a vraiment travaillé ensemble pour produire un projet homogène.

Pour moi, c’était un film très engagé. Ils ont tous parlé de problèmes différents qu’ils ont pu rencontrer pendant leur parcours de demande d’asile. C’était très intéressant de voir leur ressenti et l’isolement qu’ils vivaient presque tous en arrivant en France. Je pense que ça sensibiliserait beaucoup de gens qui ne connaissent pas le parcours d’un demandeur d’asile.” Morgane

“J’étais surpris, je ne pensais pas que le film serait d’aussi haute qualité et le message aussi bien délivré. En quelque minutes,ils ont réussi à créer une forte intimité dans le film. Je retiens la volonté des différents participants de vouloir être dans la cité française et en même temps le sentiment de ne pas recevoir l’accueil de la cité. Pendant la projection, j’ai été choqué par le passage où la femme s’écroule dans le métro et ne se fait pas relever. Malheureusement ça ne me surprend pas vraiment dans la vie, je pense qu’on peut s’y attendre, mais dans le film c’est choquant.” Thibault

“Une des images qui me revient de cette soirée, c’est la remise des diplômes – voir tous les gens qui ont travaillé dessus pendant des mois, les voir présenter ce qu’ils avaient fait et se rendre compte de toutes les choses qu’ils ont dû apprendre.

Ce qui était chouette dans le film, dans toutes les scènes de ville, c’était le contraste avec tous les gens qui sont autour d’eux. Il y a deux mondes qui ne se rencontrent pas nécessairement, des personnes qui habitent dans la même ville au même moment mais qui ont du mal à se rencontrer. C’est une ville qui va très vite et qui ne laisse pas forcément de place aux situations plus difficiles. J’ai été surprise par les moments de silence,qui laissent un peu libre court à l’imagination, tous les moments qui ne sont pas forcément commentés”. Marie

Il y a des images trop fortes dans le film. Dans film, il y a beaucoup d’images touchantes. Bilal qui traverse les frontières la nuit. Margaret avec 2000 personnes autour d’elle, elle tombe et personne ne l’aide. Ferdous qui appelle sa mère et ne peut pas la voir. Ça me touche quand il est au téléphone avec ses parents, on a toujours besoin de ses parents à coté de soi. Ses parents aussi ont besoin de lui” Apha

Retour en haut