Sur le site des Semaines Sociales, on trouvera les vidéos des conférences de la rencontre, la conclusion vigoureuse de Jérôme Vignon, des réactions de participants, des bibliographies.
Deux points de vue sur la rencontre.
Elisabeth et Michel Croc, du réseau de JRS France.
Nous avons participé aux semaines sociales de France, en voici quelques échos.
Un des tous premiers intervenants, Hervé Mariton, évoque pour nous une gravure de Jacques Callot, représentant des Bohémiens en route, et surtout la légende :
« Ces pauvres gueux plein de bonaventures
Ne portent rien que des choses futures ».
Et parmi les derniers, Jacques Barrot se rappelle le cri d’un jeune africain rencontré dans un camp à Malte : « No future ! »
Alors, construire un avenir ensemble, qu’est ce que cela comporte ?
Cela commence mal, nous dit un jeune haïtien : « à mes débuts en France, je me sentais comme un mal voyant dans un labyrinthe gigantesque ». Et Hamid, français de parents marocains en Ardèche, est enfin reconnu à son arrivée en Suède comme le français par excellence ! Comment cela pourra t il finir bien ?
Certes, certaines communautés ethniques ou nationales sont très solidaires, très refermées sur elles même, et semblaient pouvoir se passer de l’intégration dans certains pays européens d’accueil, et l’échec s’est souvent révélé cruellement sinon violemment.
On commence à percevoir une réponse lorsque l’on constate que les enfants de migrants nés en France sont oublieux de leur culture d’origine, bien intégrés au point de vue culturel, mais qu’ils ont beaucoup plus de difficultés d’accès au travail que leur camarades français d’origine, et donc sont les moins intégrés au point de vue structurel. Ils sont la proie facile des groupes islamistes, lorsque déçus par la politique de la république, ils surinvestissent l’islam comme une utopie, une religion qui doit investir la politique.
Et les sociologues constatent que l’intégration des migrants et de leurs descendants n’est pas séparable des conditions d’intégration de la société elle-même. Les subsahariens occupent les cités qu’occupaient avant eux les maghrébins, et encore avant les rapatriés d’Algérie, non pas d’abord parce qu’ils sont migrants, mais parce qu’ils sont pauvres. Les sociétés démocratiques doivent avoir le courage de mettre en œuvre leurs propres valeurs sans démagogie, sans avoir à recourir à des politiques spécifiques pour les enfants de migrants.
Ne reculons pas devant ce que nous apprend l’intervention d’Henri Guaino et le chahut d’une partie de la salle. La République, nous dit il, ne veut pas de quotas, pas de discrimination, pas de communautarisme mais le métissage. Ce que le républicain veut pour lui, il le veut pour les autres : la même loi, la même protection sociale, la même école. Notre rapport au migrant nous renvoie à l’échec de nos sociétés, on accueille d’autant mieux qu’on est réconcilié avec soi même. Qui peut contester cette profession de foi ? La leçon appartient à une personne intervenant depuis la salle : « c’est tellement beau ce que vous dites, qu’on ne peut souhaiter qu’une chose : que vous le mettiez en œuvre. ».
Et pour une vision plus large, sachons bien que les migrations ne font que commencer, que le droit à la mobilité va être la conquête majeure du XXIème siècle.
« Monseigneur, je t’en prie, veuille ne pas passer près de ton serviteur sans t’arrêter. Qu’on apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds et vous vous étendrez sous l’arbre. Que j’aille chercher un morceau de pain et vous vous réconforterez le cœur avant d’aller plus loin. »
C’est ainsi qu’Abraham s’adresse au voyageur qui passe devant sa tente, en pensant que c’est un réfugié : or c’est Dieu.
Assis Tavarès, spiritain, Clamart, tuteur du réseau Welcome.
(pour une revue des Spiritains)
Aujourd’hui, comme à leur création, les Semaines Sociales se préoccupent des mutations économiques, politiques, culturelles, scientifiques et technologiques, ainsi que de leurs incidences sur la société et sur l’exercice des responsabilités. Elles s’expriment notamment, par une session annuelle consacrée à une grande question de société.
Du 26 au 28 novembre, les participants à la 85e session des Semaines Sociales ont échangé autour du thème : « MIGRANTS, UN AVENIR À CONSTRUIRE ENSEMBLE ».
Pendant trois jours, plus de 3000 personnes ont abordé cette question sous différents angles : démographique, sociologique, religieux, culturel et politique par le biais de conférences, tables-rondes, débats. Avec l’aide d’experts, d’hommes politiques, de philosophes, de personnalités du monde associatif ou économique, de sociologues, de responsables ecclésiaux.
Les migrations accompagnent l’histoire de l’humanité depuis son origine. Mais aujourd’hui, dans sa grande majorité, elle s’est sédentarisée, oubliant presque qu’elle fût nomade jadis. Est-ce pour cela que l’oubli enferme les migrants en retour ?
Une tension s’est établie entre, d’un côté les besoins croissants du marché du travail et, de l’autre la capacité culturelle et sociale de la société française à accueillir les migrants, d’autant que l’installation est pour beaucoup d’entre eux définitive. Cette tension n’est pas d’aujourd’hui mais plus que jamais nous sommes invités à trouver des réponses à ces questionnements incontournables pour bâtir effectivement ensemble l’avenir : comment accueillir les réfugiés ? Que faire pour permettre aux migrants de prendre part à la vie de la société ? Comment faire pour que leurs enfants, nés en France, ne soient plus considérés comme des étrangers ? François HÉRAN, directeur de l’INED soulignait cet inquiétant paradoxe : ce sont les jeunes de seconde génération, nés en France, qui ont des difficultés d’intégration, et non leurs parents transplantés.
On ne peut aborder la question de l’intégration, de l’équilibre des droits et des devoirs qu’elle implique entre accueillants et accueillis, sans un dialogue, sans une rencontre avec « l’autre » présent et souvent invisible, pourtant indispensable à bien des égards.
C’est justement dans ce but que les participants ont été invités à aller à la rencontre d’une soixantaine de groupes de migrants reflétant une très large palette de situations. Il ne s’agissait plus d’écouter de remarquables exposés mais de se connaître en se racontant mutuellement ses expériences de la migration. La communauté de Clamart a été officiellement invitée à s’y joindre, en formant le groupe des « étudiants Spiritains en théologie ». Notre confrère René Tabard accompagnait également un groupe africain du 93.
Cette rencontre super sympa s’est achevée par le dîner « cuisines du monde ». Les organisateurs avaient fait appel à plusieurs associations d’insertion et de soutient pour préparer ce moment de convivialité qui a permis de poursuivre les conversations et les découvertes. Loin d’être superficiel, ce geste de se réunir autour d’un repas a constitué un pas significatif, une « migration » de soi à la rencontre de l’autre.
Je termine en citant la captivante Dounia BOUZAR, anthropologue spécialiste de l’Islam : « L’expérience humaine partagée nous permettra de construire un avenir partagé » et Lamartine VALSIN, réfugié haïtien : « En arrivant en France, j’étais comme un malvoyant dans un labyrinthe … Je vous invite à vous ouvrir les uns aux autres … Dieu n’a que notre cœur pour agir » ; ou encore l’éblouissant philosophe Tzvetan TOTOROV, citant lui-même Desmond TUTU qui proposait la version africaine du cogito ergo sum : « tu existes, donc je suis ».