En chasse d’un statut juridique, le réfugié est condamné à fournir des preuves visibles des préjudices qu’il a subis afin qu’on lui remette une autorisation à rester sauf, sur ce nouveau territoire. Capturée par l’ordre juridique et la logique capitaliste, la vie du réfugié donne à voir que tout en étant enrôlé dans cette machinerie juridico-administrative, il reste pris dans le grand dénuement et demeure en-dehors de la citoyenneté. Homme nu ou homme tuable, le réfugié devra rester en hyper-vigilance pour ne pas être expulsé par la police qui est à l’affût de sa «clandestinité», et qui exerce sur lui un contrôle et une violence politique fondamentale.
Le «bouclage étatique», c’est-à-dire la fermeture réelle des frontières à l’égard des étrangers, peut se lire en miroir avec le délabrement psychique engendré par les traumas, qui semblent bel et bien amplifiés par le refus de droit au séjour des réfugiés. La métaphore des frontières s’avère ici intéressante pour penser la perméabilité des territoires psychique et corporel du réfugié, ces espaces étant en interaction constante et conditionnés par une «impossible étanchéité des frontières».
Pourtant pour intégrer le droit aux différences et favoriser l’accès à la communauté politique, il serait nécessaire, comme le suggère Etienne Balibar, qu’une certaine souplesse autour de l’identité politique du sujet réfugié, puisse être véhiculé par l’Etat. Avec l’offre d’une réelle hospitalité, les «crispations identitaires» si présentes aujourd’hui pourraient peut-être s’estomper. La psychanalyse et, au-delà, le dialogue entre les différences disciplines permettent de dégager la catégorie clinique de l’asile et de mieux penser la pratique professionnelle menée auprès des réfugiés. Les sciences humaines se doivent en effet de porter un regard sur la question des réfugiés qui constitue l’une des grandes problématiques du XXIè siècle.
[…] L’Etat exigeant des preuves attestant la véracité des propos tenus par le demandeur d’asile, celui-ci donne, parfois, en offrande au pouvoir, à l’Etat, son corps malade. La surface corporelle incarne finalement ce que son hôte attend de lui : des plaies visibles et des douleurs lancinantes liées à ses persécutions. Son corps douloureux devient pour lui une terre d’asile qui l’écarte de ses souffrances psychqieus, parfois plus intolérables encore.L’injonction à témoigner de l’Etat conduit certains réfugiés à produire un montage testimonial qui tente de répondre à l’impératif juridique en jeu : «tout raconter». Ces «narrations de soi» parfois déroutantes voient le jour pour combattre la mémoire colonisée par les traumatismes et résister aux ravages de l’environnement insécurisant, Etat y compris. Ces productions sont à penser en termes de pathologie du témoignage, formations psychiques inconscientes qui se distinguent des constructions mensongères. Car ces récits visent en effet la survie et la réappropriation d’un passé douloureux et n’ont pas pour finalité de tromper sciemment l’Etat. Ils sont créés par le sujet dans une visée autoprotectrice répondant à une logique auto-immune. Névroses et psychoses testimoniales se forment également comme des réponses malades instaurées pour répondre à l’exigence implicite de l’Etat : se mouler dans le moule idéal de la victime traumatisée.
Les positionnements des professionnels confrontés à la population réfugiée…
Extrait de la conclusion de l’ouvrage de Elise Pestre, La vie psychique des réfugiés (Payot, 2010).