Effets de la loi Besson sur l’asile

Empêcher l’accès au territoire

A- Zone d’attente spéciale

Après l’arrivée en janvier 2010 de 123 kurdes sur une plage de Corse et l’impossibilité de les renvoyer tout de suite massivement sans porter atteinte à la loi, le ministre avait annoncé une modification de cette loi pour pouvoir placer en zone d’attente les personnes de leur lieu de découverte jusqu’au point de passage frontalier le plus proche.

Jusqu’à présent les zones d’attente s’étendaient des points de débarquement aux points de contrôles frontaliers.

Désormais, un groupe d’étrangers interpellé en dehors des contrôles frontières pourra être placé en zone d’attente, étendue alors par-delà la frontière jusqu’au lieu d’interpellation.

La loi parle de l’arrivée simultanée d’au moins dix personnes pouvant être ensemble ou éparpillées et distants de dix kilomètres l’un de l’autre. Le nombre de dix ne correspond manifestement pas à la notion « d’afflux massif dans des circonstances exceptionnelles » définie par les Directives Procédures et Retour.

Cette mesure, en restreignant les garanties du demandeur d’asile, permet à l’administration de renvoyer plus facilement un grand nombre de personnes.

En particulier, l’appréciation du « caractère manifestement infondé » de la demande d’asile permet aujourd’hui de renvoyer les trois quarts des demandeurs d’asile sans que leur demande aie été vraiment écoutée.

A cet obstacle va s’ajouter celui de la présence des associations sur ces zones d’attente fluctuantes, et celle des difficultés d’action du juge des libertés qui devra se prononcer dans les 24h (ou 48h si les circonstances l’exigent).

B- Interdiction de retour

L’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) (article 37 de la loi – L.511-1 III du CESEDA), nouveauté de la loi, peut être prise par l’administration en plus de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Toute OQTF peut être accompagnée d’une interdiction de retour d’une durée maximale de 5 ans.

Mais les critères très vagues pour notifier une IRTF et sa durée, font craindre que les préfectures en fassent une pratique systématique. Seules sont protégées de cette « double peine administrative » les catégories d’étrangers strictement protégées contre une OQTF.

Cette mesure conduirait l’administration à prononcer sans examen individuel approfondi, une interdiction de retour à l’encontre de la plupart des migrants sans papiers interpellés. Ceci sans tenir compte du fait que leur situation peut changer ou que leurs droits fondamentaux sont en jeu.

Cette disposition est également contraire aux grands principes de la directive « Retour », notamment son 6ème considérant qui stipule que : « Conformément aux principes généraux du droit de l’Union européenne, les décisions prises en vertu de la présente directive devraient l’être au cas par cas et tenir compte de critères objectifs, ce qui implique que l’on prenne en considération d’autres facteurs que le simple fait du séjour irrégulier. (…) »

De plus, cette interdiction de retour va s’étendre à tout le territoire européen.

En effet, elle entraîne l’inscription automatique au FPR (fichier des personnes recherchées) et au fichier européen SIS (système d’information Schengen).

L’annulation des signalements aux fins de non admission en cas d’abrogation des IRTF n’est pas prévue dans un cadre législatif

II- Réduire les droits durant la procédure

Un nouveau cas de procédure prioritaire

L’article 96 de la loi prévoit d’ajouter à l’article L.741-4 du CESEDA les dispositions suivantes :

« Constitue une demande d’asile reposant sur une fraude délibérée la demande présentée par un étranger qui fournit de fausses indications, dissimule des informations concernant son identité, sa nationalité ou ses modalités d’entrée en France afin d’induire en erreur les autorités. »

Cette mesure vise essentiellement ceux qui tentent d’échapper à Dublin II.

La jurisprudence admettait déjà qu’en cas de changement d’identité ou d’utilisation délibérée de faux documents, le préfet pouvait prononcer un refus de séjour. Mais l’administration devait démontrer la fraude. Avec cet ajout à la loi, qui rend explicite le cas de fraude, le préfet n’aura plus à démontrer celle-ci. Il est à craindre que les chiffres déjà élevés de la procédure prioritaire (24% des demandes d’asile en 2010) seront dépassés.

Une limitation de l’aide juridictionnelle devant la Cour nationale du droit d’asile

L’article 95 de la loi (art. L. 731-2 du CESEDA) prévoit une exclusion complète de cette aide s’il s’agit d’un recours de réexamen, le demandeur ayant déjà été entendu à la CNDA.

Cette disposition est contraire au droit européen puisque la Directive Procédures indique clairement que les Etats membres doivent fournir une aide juridique pour les recours de réexamen.

En outre, il en est de même pour la jurisprudence du Conseil d’Etat et le « droit à un recours effectif ».

Généralisation des audiences par visioconférences

La loi, dans son article 98 (art. L. 733-1 du CESEDA), vise à généraliser la tenue d’audience par visioconférence pour les demandeurs d’asile

L’utilisation de la visioconférence à la CNDA, généralisée à l’ensemble du territoire, pourrait conduire à mener par visioconférence entre un tiers et la moitié des audiences.

Certes il y a des garanties supplémentaires (présence de l’avocat aux côtés du demandeur, consentement de l’intéressé, salle dans un lieu de justice, communication de l’intégralité du dossier, procès-verbal ou enregistrement audiovisuel de la séance) mais la visioconférence ne permet pas la même qualité des débats dans un contentieux où l’oralité joue un rôle essentiel.

Autre conséquence, cet amendement risque de généraliser la visioconférence pour les entretiens OFPRA. Déjà en Mayotte et Guyane la pratique devient courante. Si la CNDA peut tenir des audiences par cette voie, l’OFPRA pourra aussi s’en prévaloir.

III- Enfermer et expulser

A- Rétention administrative

La loi modifie en profondeur la rétention administrative et réduit de manière importante les droits des étrangers retenus. Plusieurs mesures viennent restreindre les droits des étrangers enfermés dans les centres de rétention administrative.

La loi allonge à 45 jours la durée maximale de rétention administrative, au lieu de 32 aujourd’hui (5 jours, plus 20 jours de prolongation possible, puis encore 20 jours par le juge des libertés).

De plus, le juge des libertés et de la détention, garant des libertés individuelles, ne sera saisi pour examiner l’opportunité de prolonger la rétention et contrôler la régularité de la procédure judiciaire qu’au bout de 5 jours au lieu de 2

L’étranger sera informé de ses droits non plus au moment de la notification de la décision de placement en rétention, mais « dans les meilleurs délais suivants (sa) notification » (art. 52 de la loi – L.552-2 du CESEDA).

Dans une série d’arrêts de principe du 31 janvier 2006, la Cour de Cassation avait pourtant rappelé à l’administration que le juge devait veiller à ce que l’étranger soit « au moment de la notification de la décision de placement en rétention, mis en mesure d’exercer effectivement les droits qui lui sont reconnus»

Enfin, la loi élimine la disposition obligeant l’administration à remettre à l’étranger un double de la décision de placement en rétention. Sans décision, il est pratiquement impossible de contester les irrégularités de procédure, et la décision en elle même…

Une autre mesure inquiétante pour la rétention, est celle de la possibilité d’enfermer les enfants dans les centres de rétention.

Auparavant, ils ne faisaient qu’accompagner leurs parents et n’étaient pas personnellement destinataires d’une mesure de privation de liberté.

Cet enfermement, qui devrait être proscrit par principe et ce par respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, a déjà plusieurs fois été considéré par les juges comme un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou encore contraire à l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.

Plus largement la directive préconise de protéger de l’enfermement les personnes vulnérables ce que la loi ne prend pas en compte, tentant même d’allonger la durée de la rétention sans distinctions de catégories de personnes.

B- L’OQTF

1/ OQTF avec délai de départ volontaire

Comme auparavant, l’étranger dispose de 30 jours pour quitter le territoire. C’est désormais « le délai de départ volontaire ».

L’administration peut accorder un délai supérieur à 30 jours au regard de la « situation personnelle de l’étranger ». Sachant que cette notion n’est pas précisée, cette décision est totalement discrétionnaire. Passé l’éventuel délai de départ accordé par l’administration, l’obligation de quitter le territoire peut être exécutée d’office, si elle n’a pas été contestée devant le juge administratif.

Si un des motifs permettant de prononcer une OQTF sans délai apparaît durant le délai de 30 jours, l’administration peut alors prononcer une décision de supprimer le délai de départ volontaire.

2/ OQTF sans délai de départ volontaire

L’OQTF sans délai de départ volontaire peut être prononcé principalement pour :

menace à l’ordre public »

demande « manifestement infondée », ou « frauduleuse »

s’il existe un risque que l’étranger se soustraie à cette obligation.

Cette dernière hypothèse est regardée comme établie, « sauf circonstance particulière », au travers de plusieurs possibilités :

• L’autorisation Provisoire de séjour est expirée et aucune demande de renouvellement n’a été faite

•L’étranger s’est soustrait à une précédente mesure d’éloignement

•L’étranger a « contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage

•L’étranger n’a pas de garanties de représentation suffisantes (documents d’identité ou de voyage qui ne sont plus en cours de validité, dissimulation d’ éléments de son identité, absence de déclaration du lieu de sa résidence effective ou permanente, ou soustraction aux obligations prévues lors d’une mesure d’assignation à résidence).

La dernière possibilité donne toute latitude à l’administration.

 

L’ensemble des mesures contenues dans cette loi laisse ainsi un large pouvoir discrétionnaire à l’administration pour pratiquer la politique gouvernementale du « chiffre » (arriver à 30 000 expulsions par an et refouler plus efficacement à la frontière), et ce au mépris des droits fondamentaux des demandeurs d’asile.

Pour JRS il s’agit bien sûr de défendre les droits des demandeurs d’asile qu’elle reçoit devant les instances compétentes. Mais il s’agit surtout de lutter contre les idées qui justifient les abus. Ainsi, tout commence par l’accueil. Les rencontres profondes permettent de témoigner que les demandeurs d’asile vont bien au delà de l’image de « fraudeurs » qu’on leur donne. L’hospitalité permet de leur donner, discrètement, une véritable place, alors qu’ils se trouvent sans lieu, persécutés ailleurs et rejetés ici. Et cette place les rend visibles, d’une autre manière, aux yeux de ceux qui les entourent.

Retour en haut